Le premier choc esthétique de l’histoire de la musique avec un homme portant un casque de chantier remonte à la fin des années 1970. David Hodo (l’ouvrier) et sa clique s’adonnaient à une disco calibrée pour chauffer à blanc les dancefloors en scandant des refrains qui encourageaient les jeunes hommes à savourer chaque instant de la vie. Personne n’avait eu l’audace de toucher à ce symbole. Des profondeurs de la terre, un événement est survenu le jeudi 21 septembre à Rennes qui fera trembler l’histoire. Arrachées les pages de l’encyclopédie des icônes ! Brisées nos références gravées dans le marbre ! Le casque de chantier n’est plus sous copyright des Village People…
Les quatre garçons élèvent Rennes dans la dynastie des villes françaises où il se passe des choses excitantes.
Le blasphème s’est déroulé trois fois de suite, devant une cinquantaine de témoins, eux-mêmes casqués et enveloppés dans une veste fluorescente, dans le chantier de la future station du métro à Cleunay. Dans cette chapelle de béton, le groupe Manceau délivrât trois sets délicats, teintés de mélancolie, une pop aérienne et entraînante, tandis qu’un déluge inondait le terrain au-dessous de nos têtes, faisant couler la boue dans les escaliers.
Magie du talent. Ils nous firent oublier le froid et la pluie. Samuel, Vincent, François et Julien aménagent dans l’espace une sorte de bulle qui, en dépit du lieu austère, donne un sentiment d’intimité. Une douceur. Difficile d’intervenir. Tenté un moment d’arracher les câbles de la sono pour mettre un terme à cette mascarade, je fus dissuadé par le regard d’un certain Ced, à qui veste fluo et casque de chantier conféraient une autorité devant laquelle même un hooligan défoncé à la bière demanderait « s’il vous plait » avant d’oser aller pisser.
Doit-on pour autant pardonner Manceau ? Est-il possible d’ignorer ce hold-up culturel ? Doit-on envisager un procès contre le président d’I’m From Rennes impliqué dans ce concert sous-terrain ? Manceau réjouit le public. Manceau est singulier sans être snob. Manceau apporte sa jolie pierre à l’édifice pop. Les quatre garçons élèvent Rennes dans la dynastie des villes françaises où il se passe des choses excitantes. Alors bon, OK, tant pis pour le détournement, vous êtes blanchis, de toute façon, et j’ai peut-être omis cette information, le casque de chantier sur un chantier est obligatoire.
Raoul Kalin