Aujourd’hui, nous allons apprendre à faire la différence entre un « good deal » et un « bad deal ». Concentrez-vous bien, il y a des pièges.

Situation numéro 1 : Je suis une jeune actrice séduisante qui rencontre un producteur de cinéma avide d’argent et de sexe. L’homme devient pressant, deux choix s’offrent à moi :

· Faire voltiger le cigare du producteur en lui disant, avec panache : je négocie mon talent, pas mon cul !

· Accepter le deal contre la promesse d’un second rôle dans une comédie musicale sur une confrérie de moines qui a fait vœux de silence.

Situation numéro 2 : Je vais dîner à la table d’un pote qui a quitté un job dans l’administration territoriale pour ouvrir son propre restaurant. Après un excellent repas et deux bouteilles de vin, on m’apporte l’addition :

· Je tends ma carte bancaire tout en pianotant un commentaire dithyrambique sur TripAdvisor.

· Je suis scandalisé d’avoir à payer comme n’importe quel client, je l’efface de ma liste d’amis illico.

Situation numéro 3 : J’envisage d’aller au concert d’un groupe dont j’ai entendu beaucoup de bien, j’ai maté leur clip tourné à Rennes et je suis curieux de voir ce qu’ils donnent en live. La place est payante :

· Ben ouais… c’est un concert.

· Il se trouve que j’ai une amie, qui connaît un type qui est voisin de palier du bassiste, ça m’embête de payer.

On aimerait tous que la vie soit une suite de cadeaux désintéressés, que l’argent coule à flots dans la poche d’amis philanthropes qui investissent dans une fondation au profit de notre seul bien-être, que des musiciens improvisent partout où nous mettons les pieds des concerts surprise (et gratuits) pour nous distraire et, cerise sur le gâteau, qu’on jette en prison tous les connards qui nous manquent de respect. Bref, vivre dans la peau d’un dictateur. N’est pas dictateur qui veut, à moins d’avoir de la famille qui vous pistonne.

Les spectateurs ne vont pas aux concerts par obligation morale, comme les parents aux spectacles de fin d’année de leurs enfants. La musique a-t-elle de la valeur ? Si oui, est-il envisageable de rétribuer les artistes et techniciens qui vous offrent un spectacle que vous avez choisi ?

Raoul Kalin

Le premier choc esthétique de l’histoire de la musique avec un homme portant un casque de chantier remonte à la fin des années 1970. David Hodo (l’ouvrier) et sa clique s’adonnaient à une disco calibrée pour chauffer à blanc les dancefloors en scandant des refrains qui encourageaient les jeunes hommes à savourer chaque instant de la vie. Personne n’avait eu l’audace de toucher à ce symbole. Des profondeurs de la terre, un événement est survenu le jeudi 21 septembre à Rennes qui fera trembler l’histoire. Arrachées les pages de l’encyclopédie des icônes ! Brisées nos références gravées dans le marbre ! Le casque de chantier n’est plus sous copyright des Village People…

Les quatre garçons élèvent Rennes dans la dynastie des villes françaises où il se passe des choses excitantes.

Le blasphème s’est déroulé trois fois de suite, devant une cinquantaine de témoins, eux-mêmes casqués et enveloppés dans une veste fluorescente, dans le chantier de la future station du métro à Cleunay. Dans cette chapelle de béton, le groupe Manceau délivrât trois sets délicats, teintés de mélancolie, une pop aérienne et entraînante, tandis qu’un déluge inondait le terrain au-dessous de nos têtes, faisant couler la boue dans les escaliers.

Magie du talent. Ils nous firent oublier le froid et la pluie. Samuel, Vincent, François et Julien aménagent dans l’espace une sorte de bulle qui, en dépit du lieu austère, donne un sentiment d’intimité. Une douceur. Difficile d’intervenir. Tenté un moment d’arracher les câbles de la sono pour mettre un terme à cette mascarade, je fus dissuadé par le regard d’un certain Ced, à qui veste fluo et casque de chantier conféraient une autorité devant laquelle même un hooligan défoncé à la bière demanderait « s’il vous plait » avant d’oser aller pisser.

Doit-on pour autant pardonner Manceau ? Est-il possible d’ignorer ce hold-up culturel ? Doit-on envisager un procès contre le président d’I’m From Rennes impliqué dans ce concert sous-terrain ? Manceau réjouit le public. Manceau est singulier sans être snob. Manceau apporte sa jolie pierre à l’édifice pop. Les quatre garçons élèvent Rennes dans la dynastie des villes françaises où il se passe des choses excitantes. Alors bon, OK, tant pis pour le détournement, vous êtes blanchis, de toute façon, et j’ai peut-être omis cette information, le casque de chantier sur un chantier est obligatoire.

Raoul Kalin

En tant que chroniqueur, je suis régulièrement appelé de par le monde pour couvrir des événements mondains et j’ai quelques scrupules parfois à m’empiffrer à des buffets gratuits étant donné les cachets mirobolants qui me sont versés. Et je ne parle pas des avantages en nature, nombreux – véhicule de sport polluant ou call girl non syndiquée, que je refuse par déontologie. J’ai des scrupules mais je dois composer avec un corps d’athlète qui réclame sa dose de sucre et de lipide. Ma vie est une lutte pour rester mince.

Ils peuvent te parler d’un groupe qui a changé leur vie […]

Invité à la mairie de Rennes par mon ami Brad pour le lancement d’I’m From Rennes, je n’ai pas osé dire non, mais j’ai vu arriver le piège gros comme une maison : comment ne pas succomber une fois encore aux tentations des petits fours ? J’avais tort de m’inquiéter. Et vous savez pourquoi ? Ce n’était pas le genre de manifestation où l’on fait mine d’écouter son voisin la bouche fourrée de canapés. Description du public : bénévoles, DJ (Alvan pour la musique), élus, chanteurs, organisateurs, photographes et musiciens. Des gens qui ont tous un point commun, ils aiment. Ils peuvent te parler d’un groupe qui a changé leur vie, s’enflammer pour un jeune artiste sorti d’un quartier de Rennes ou célébrer les organisateurs de concerts des temps anciens qui ont forgé la réputation de Rennes. Ces gens ont une sensibilité spéciale et ils lâchent, parfois, sans mesurer la force prophétique de leur phrase : « il se passe un truc à Rennes ». Ces gens ont un autre point commun essentiel qui les relie comme un fil invisible. Ils aiment Simon Carpentier. Ils aiment son œuvre, son immense talent et ils savent tout ce qu’on lui doit dans la genèse du festival. Quand on est entouré de gens comme ça, qui aiment, qui adorent, qui vénèrent, on se laisse prendre. C’est notre faiblesse.

Discutant avec les uns et les autres, je n’ai pas vu le temps passer, j’ai laissé filer ma chance et quand je suis arrivé au buffet, il était trop tard. Il ne restait plus rien, sauf une paire de tartelettes jaunes que j’ai gobées en sanglotant. S’ennuyer et grossir ou vivre I’m From Rennes et rester mince. Tel est le choix qui s’offre à nous.

Raoul Kalin

Glissé sous une fausse identité dans la peau d’un « bénévole » d’I’m From Rennes, j’y étais. Dans l’arrière-salle du Oan’s pub, mercredi 30 août 2017, en début de soirée, au cours d’une réunion tenue secrète pour toute personne ayant décidé de boycotter facebook ou ne plus payer de forfait téléphone.

J’ai un projet. Celui de dévoiler les motivations cachées des bénévoles d’I’m From Rennes.

Me faisant appeler Brad, une barbe factice, 17 badges piqués sur mon blouson et, lové sur mon avant-bras, un somptueux tatouage de tigre du Bengale (le plus dangereux des félins), réalisé au bic cristal soft pointe 1,2 millimètre par un neveu expert en plagiat de Walt Disney. Surprise et déception… Ils n’étaient pas tous tatoués avec de grosses barbes, certains n’avaient pas de poils du tout et… l’assemblée comptait aussi des femmes. Ce qui me laissa le goût amer de m’être beaucoup trop investi dans mon personnage de hipster. D’autant que ma barbe factice m’a démangé toute la soirée. A l’heure où j’écris ces lignes, j’ai encore des rougeurs.

J’ai un projet. Celui de dévoiler les motivations cachées des bénévoles d’I’m From Rennes. Qu’est-ce qui anime le cœur des hommes (pas forcément barbus ni tatoués et qui sont parfois des femmes) venus participer sans aucune contrepartie financière à cette belle aventure ? Pourquoi mettre son énergie, sa bonne volonté, ses compétences, sa jeunesse, sa bonne humeur, et j’en passe sur la tripoté de bons sentiments, au profit d’un long et trépidant festival qui va nous faire kiffer le mois septembre ? Je n’ai pas trouvé la réponse. J’invoque l’esprit du tigre (le plus fourbe des félins) et je jure, je jure solennellement, incliné à l’est vers la tombe de Jim Morrison, de m’engager corps et âme pour résoudre cette énigme, dussé-je me faire appeler Brad pendant les 11 jours du festival.

Raoul Kalin